Questions & débats (décembre 1998)
Frédéric Lesniewski (03.12.1998). — J’ai du mal à saisir le sens du mot « avatar ». D’après le dictionnaire il en existe deux définitions qui sont, pour moi, contradictoires :
- Métamorphose, transformation.
- Les malheurs, les tracas.
Quelqu’un a-t-il une explication ?
« cweil » (06.12.1998). — Une fois de plus, les dictionnaires donnent asile aux acceptions abusives, pourvu qu’elles soient largement implantées. Avatar, issu du sanskrit avatara, se rapporte, dans la religion hindoue, à l’incarnation d’un dieu sur terre ou à sa réincarnation. Il est probable que l’influence des mots aventure et avanie ait contribué au glissement de sens du mot de métamorphose vers mésaventure. Les avatars de Visnu (ou Vishnou) ne sont pas des mésaventures.
JR (03.12.1998). — Ah oui ! j’oubliais : Avatar a été un des nombreux termes lancés pour traduire « instance » en Ada. Il y avait aussi « incarnation ». Ce n’était pas moi je le jure.
Compléments
« cweil » critiquait la pratique du droit d’asile linguistique par les dictionnaires qu’il nous paraît logique, pourtant, de défendre. La préface du Nouveau Petit Robert revendique le refus de « l’autocensure d’une norme rigoureuse » en estimant qu’un tel rôle est spécifiquement dévolu au dictionnaire de l’Académie française. Du reste, voici la définition d’avatar que donne le Petit Larousse :
- Chacune des incarnations de Visnu, dans la religion hindoue.
- Transformation, changement dans le sort de qqn, qqch.
- (Abusif). Évènement fâcheux, accident.
Le côté « abusif » de l’interprétation accidentelle d’avatar est également souligné par le Petit Robert qui date son apparition de 1916 et note que, dans cette acception, le mot est souvent employé au pluriel.
La 9e édition du Dictionnaire de l’Académie française (1992) ne connaît que les deux premiers sens indiqués en donnant comme exemples : Que d’avatars dans la vie politique de cet homme ! Cette institution va connaître un nouvel avatar.
Les acceptions admises évoluent. La 8e édition du Dictionnaire de l’Académie (1932—1935) était un peu plus concise (quand la 6e édition de 1835 ignorait purement et simplement le terme) :
AVATAR. n. m. Dans la religion hindoue, Chacune des incarnations de Vichnou. Par extension, il signifie familièrement Changement ou Transformation d’un objet ou d’un individu qui en a déjà subi plusieurs. Que d’avatars dans la vie politique de cet homme d’État !
Et, quelque soixante ans avant la 8e édition du Dictionnaire de l’Académie, Littré se bornait à :
AVATAR (a-va-tar) ou AVATARA (a-va-ta-ra), s[ubstantif] m[asculin] — Dans la religion indienne, descente d’un Dieu sur la terre, et en particulier, les incarnations de Vishnou qui sont en dix principales formes : poisson, tortue, sanglier, homme-lion, nain, les deux Sama, Crischna, Bouddha et Calci.
Le TLFI (Trésor de la langue française informatisé), outre les définitions admises par l’Académie, note :
SYNT[hèse]. Être accablé d’avatars continuels (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 319), parler des avatars de sa carrière (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 14). Rem. Ce dernier sens, proche des termes aventure et accident, est condamné par un certain nombre de puristes. Cependant Hanse 1949 accueille « l’emploi d’avatars dans le sens d’aventures ou, par une nouvelle extension, de : soucis, tracas, ennuis, vicissitudes, bouleversements liés à une suite de péripéties » alors qu’il condamne l’emploi d’avatars dans le sens d’avaries dans les expr. fam. colis qui subissent des avatars, ou encore avoir des avatars au moteur. L’Ac[adémie] juge l’emploi impropre.
Les dictionnaires des difficultés recommandent d’éviter l’emploi « abusif » et de parler plutôt d’ennuis pour des personnes, d’avaries ou d’incidents pour des objets inanimés... même si l’utilisation d’avatar dans ce sens est attestée parfois dans la langue littéraire (comme le relevait le TLFI).
Dans ce sens, avatar peut appartenir à la langue familière, sans doute, mais il semble toujours à éviter dans la langue soutenue (spécialement à l’écrit).